Le pendentif Taphophilia

- Bijoux - Culture

La Bretagne est réputée pour son culte de la Mort particulier. J’ai été bercée avec ces légendes et mon attirance pour l’art macabre me vient de là. J’ai voyagé à travers l’Europe sur des lieux comme les catacombes de Palerme, de Paris, l’ossuaire de Sedlec en République Tchèque, la crypte de Saint Michan’s Church à Dublin et j’en passe. La Mort est inévitable et conscientiser à son sujet amènerait à une élévation et donnerait un sens à la condition de vivant. C’est toute la philosophie et la réflexion derrière la Mort qui me passionne.

En Décembre 2023, je me suis rendue en la Cathédrale Saint-Paul-Aurélien de la ville de Saint-Pol-de-Léon dans le département du Finistère.

Un peu d’histoire

Le Léon est une localité située dans le Finistère. C’est là-bas que
la culture bretonne est toujours très forte, le breton y est encore parlé et c’est également dans cette partie de la Bretagne que l’on y trouve les enclos et les églises les plus richement ouvragées de toute la région.

Il faut savoir que le Léon a connu un essor au XVI et XVIIème: les terres riches de la région ont favorisé la culture du lin. Sa production en a fait que la paroisse toute entière fut impliquée dans cette industrie qui entraîna une prospérité économique.

Les juloded, les fabricants et marchands de toiles du Léon, forment une aristocratie paysanne, leur richesse est telle qu’ils sont à l’origine de l’édification des enclos paroissiaux. L’emprise de la religion est forte dans la Bretagne de cette époque et s’enrichir confine au pêché. Pour se racheter et par peur du Jugement, ces paroissiens sont encouragés à faires des dons à l’Eglise 😉

Un julod, paysan-négociant en lin entre le XVIème et le XIXème siècle.

La paroisse est le reflet de l’identité collective alors l’enclos devient l’emblème d’un orgueil collectif et l’objet d’émulation entre paroisses. Chaque localité veut élever le plus grand, le plus impressionnant sans regarder les dépenses et rivaliser avec le voisin. Cela donne de nos jours d’impressionnants enclos situés principalement dans le Léon et à cheval sur le Trégor.

L’enclos et son ossuaire

Qu’est-ce que l’enclos?

L’enclos paroissial est un ensemble architectural composé d’une église, un calvaire, un ossuaire ainsi qu’un porche et une sacristie, le tout entouré d’un mur de clôture avec une entrée monumentale. Souvent, le cimetière se trouve autour ou derrière l’église.

C’est un espace sacré ou toute sculpture rappelle au fidèle que la mort est omniprésente et le chemin à faire pour accéder à la rédemption. En effet, le fidèle entre dans l’espace sacré par l’entrée impressionnante puis passe par l’ossuaire qui lui rappelle sa propre mort, se tourne vers le calvaire où la condition du Christ lui fait espérer la Résurrection. Il entre enfin dans l’église afin de se faire pardonner ses pêchés.

Tout était cadré par l’église avec une imagerie de la mort omniprésente. Le breton étant très superstitieux, il en a fait des légendes qui sont désormais indissociables de la Bretagne.

On trouve donc des ossuaires dans chaque enclos du Pays du Léon. Ouvert sur toute une de ses faces, il offre à voir au fidèle la mort, brute, tragique, sans outre mesure. Certes, la lourde histoire passée qui, inlassablement, confronta le breton à cette brutalité de la Mort, cette notion de purgatoire incessante appuyée par la doctrine chrétienne, rappelle tout de même une promiscuité de la survie de conceptions préchrétiennes particulièrement celtico-gauloises.

Une tradition bretonne

Les récits oraux, collectés entre autres par Anatole Le Braz (à l’origine de l’ouvrage devenu un classique breton « La Légende de la Mort« ) ou de La Villemarqué (auteur du grand classique Barzaz Breiz), témoignent de la personnification de la Mort que l’on nomme l’Ankou, racontés par nos anciens depuis les temps les plus reculés. Convoyeur des défunts dans l’Autre Monde, il est l’entité la plus célèbre de Bretagne, il témoigne à lui seul de l’omniprésence de la Mort dans le folklore de la péninsule armoricaine.

Représentation de l’Ankou par Didier Graffet.

Une autre tradition plutôt rare, que l’on retrouve étonnamment en Bavière et en Autriche, est celle de l’exposition des crânes.

Il apparaîtrait pour notre part, qu’il soit un héritage celtique. Aux origines de la christianisation, les ecclésiastiques se sont démenés pour lutter contre des pratiques venues du paganisme sans sembler ne jamais réussir à les exterminer. Ils ont donc remodelé leur dogme avec les traditions locales afin de mettre le fidèle en confiance et ainsi l’attirer vers les sacrements de l’église. L’exemple le plus courant étant les sources et fontaines, héritage païen christianisé où les femmes encore jusqu’au XXème siècle venaient y jeter leur épingle de coiffe pour savoir si leur époux était mort en mer ou vif, se guérir de certains maux ou encore se frotter à des menhirs, eux aussi christianisés en étant sculptés d’une croix, afin d’être fécondes.

Pour en revenir à l’exhibition des crânes, on pourrait faire le rapprochement avec une vieille coutume aux origines celtiques qui consistait en l’ostentation des crânes dans des sanctuaires comme offrandes aux Dieux.

Les Etagères de la Nuit

Jusqu’à aujourd’hui, les derniers crânes « en masse » sont visibles en la Cathédrale Saint-Paul-Aurélien de Saint-Pol-de-Léon. Je m’y suis rendue pour y trouver l’inspiration et c’en est sorti ce nouveau pendentif que j’ai voulu comme un hommage aux traditions de la culture bretonne que j’affectionne tant.

Les crânes sont disposés dans des petites châsses en bois rappelant la forme d’une chapelle, sur des étagères. Cet ensemble a été baptisé « Les Etagères de la Nuit » par Yves-Pascal Castel, docteur en histoire de l’art spécialisé dans l’histoire de l’art religieux breton .

Ces boîtes en bois, elles-mêmes appelées « boîtes à chef », sont peintes et ajourées d’une forme de coeur ou de quadrilobe qui laisse entrevoir le crâne. La date du trépas et le nom du défunt sont peintes et certaines ont la particularité d’être ornées de larmes. Une forme que l’on retrouve beaucoup dans cette partie du Finistère, pour symboliser le tristesse de la perte de l’être cher.

Autrefois, les défunts pouvaient être inhumés dans les églises. Mais par manque de place, cinq ans après l’inhumation, les corps étaient exhumés, les os déposés dans un ossuaire, répandus dans le Léon, et le « chef » ou crâne du défunt était placé dans une petite boîte. Certains les conservaient dans leurs maisons à la vue de tous, près de l’âtre ou à l’entrée, comme un Memento Mori, afin que chacun se rappelle de leur fin.

Les boîtes à chef des Etagères de la Nuit ont leur place dans la cathédrale afin de leur rendre honneur en les déposant dans un lieu sacré mais aussi et surtout pour éviter l’anonymat des ossuaires.

La fin d’une coutume

La coutume s’est arrêtée au début du XXème siècle et le dernier chef recueilli en Bretagne fut celui d’un artiste dont je vous ai déjà parlé.
Il s’agit du crâne du peintre Yan’ Dargent, l’illustre peintre des Lavandières de la Nuit dont je m’étais inspirée pour le pendentif ANAON.

L’illustrateur, qui excellait dans la représentation des légendes bretonnes, avait souhaité que l’on décolle son chef plusieurs années après son trépas afin de mettre son crâne dans une chasse qu’il avait décoré lui-même et que celui-ci repose dans l’ossuaire auprès des ossements de sa mère, qu’il n’a pas vraiment connu puisqu’elle décéda alors qu’il n’avait que 2 ans. Son corps est, lui, dans sa tombe, visible dans le cimetière de Saint Servais, sa ville de naissance qu’il n’oubliera jamais malgré sa carrière parisienne.

Nous sommes en 1907 et ce dernier décollement fit grand bruit et alla jusqu’aux tribunaux pour des mésententes familliales. Du sacré, nous passions au profane. La famille du second lit de l’artiste refusa que l’on toucha au corps malgré sa demande testamentaire. Autres temps, autres moeurs. Alors qu’autrefois la petite chasse permettait au vivant de conserver une proximité avec son défunt, il semblerait que l’arrivée de la photographie et de l’hygiène fit inverser la tendance. Le souvenir du défunt se suffisait à une photo et pour des raisons d’hygiène, on commença à cacher la mort qui au fur et à mesure allait devenir un tabou et cachée de tous.

L’inspiration

En me rendant sur place, c’est-à-dire en la cathédrale de Saint Pol de Léon, je suis allée étudier sous toutes les coutures les boîtes à chef sur les Etagères de la Nuit.

C’est en se rendant dans la partie bas-côté sud de la cathédrale que l’on peut apercevoir une niche composée de 3 étagères et protégée d’une grille massive, que l’on peut admirer les petites boîtes à chefs.

Je les ai méticuleusement bien observées et ai pris plusieurs photos que voici:

On remarque plusieurs points communs à chaque boîte: une ouverture sur le crâne, en forme de coeur ou de trilobe, le nom du défunt, sa date de trépas et pour la majorité, « Ci-Gît », décliné sous plusieurs orthographes (ci gît, ici git, cist git, cigit , cy git, etc).

Le pendentif Taphophilia

Rentrée chez moi, je me suis munie de mon précieux carnet à croquis et j’ai penché sur une boîte plutôt simple. J’ai choisi une ouverture sur le crâne en forme de quadrilobe, que l’on ne voit pas à Saint Pol mais que j’ai voulu ainsi pour rester cohérente avec ma marque puisque c’est un motif qui revient souvent. Sur le dessus, j’ai choisi d’inscrire « CI GIT » dans son orthographe la plus courante. Sur le dessous du quadrilobe, j’ai mis les larmes que l’on trouve sur chaque châsse et inhérent à l’art mortuaire du Finistère. J’ai décidé que ce petit reliquaire s’ouvrirait et donnerait vue sur un petit crâne qui lui peut s’enlever et se remettre. Au dos du bijou, en écriture médiévale, se trouve l’inscription Memento Mori. Je vous laisse découvrir le résultat.

Le bijou mesure 22 mm x 16mm sans compter la bélière puis 12 mm de profondeur. Il est en argent 925, comme toujours. Il sera disponible le DIMANCHE 3 NOVEMBRE à 20h30 sur Boutique – Opus Pocus (opus-pocus.com)

Vous pourrez trouver d’autres photos sur Instagram où je présente au fur et à mesure, les nouveautés du mois mais où vous pourrez aussi commenter chaque publication. Vos avis sont précieux alors n’hésitez pas à me suivre ou commenter ici même!

Connaissiez-vous cette coutume et que pensez-vous de ce pendentif?

Aussi, je vous conseille le fabuleux article de La Lune Mauve parfaitement détaillé: https://lalunemauve.fr/boites-a-cranes-ossuaires-bretagne-finistere-cotes-armor/

Ossuaires: Guimilliau (29), La Roche Maurice (29), Ploudiry (29), Lanrivain (22), Kergrist-Moëlou (22)

Sources: Exposition en la cathédrale Saint Aurélien de Saint Pol de Léon; La Bretagne des enclos et calvaires – Editions Ouest-France

Connaissez-vous les boîtes à crâne de la cathédrale de Saint-Pol-de-Léon ? (ouest-france.fr)


Yan’ Dargent — Wikipédia (wikipedia.org)


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